Féminicide au Cameroun : quand l’hyper sexualisation des réseaux sociaux aggrave la situation

Article : Féminicide au Cameroun : quand l’hyper sexualisation des réseaux sociaux aggrave la situation
Crédit: Garaobe Salomon, accès libre

Féminicide au Cameroun : quand l’hyper sexualisation des réseaux sociaux aggrave la situation

Le soir du lundi 08 avril 2024, les réseaux sociaux alertent sur la disparition d’une journaliste. Quelques heures plus tard, l’on apprend par les mêmes sources que Sylvie Louisette Ngo Yebel, journaliste chargée de la communication à la COMIFAC aurait été tuée par son propre fils. Un cas de plus, un cas de trop. Cette féminicide vient s’ajouter à la triste liste des femmes tuées au Cameroun. Face à ces cas de violence envers les femmes, mères de l’humanité selon les valeurs africaines, nous tentons d’expliquer si la banalisation et l’exposition du sexe sur les réseaux sociaux n’auraient pas contribué à diminuer l’estime et le respect envers les femmes.

De la mère de l’humanité à une simple partenaire sexuelle

Voici comment Léopold Sédar Senghor rend hommage à la Femme Africaine :

« Femme nue, femme noire

Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté

J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux …. »

Chants d’ombre

Par ces vers, Senghor célèbre la femme en mettant en avant son rôle sacré en tant que créatrice, nourricière et protectrice de l’humain. Cette vénération de la femme est partagée par de nombreuses sociétés africaines. La femme est considérée comme le pilier de la famille et de la communauté. Elle est célébrée en tant que mère, éducatrice et gardienne des valeurs culturelles.


Hélas, nous constatons que plus le temps passe, plus cette considération basée sur le respect de la dignité féminine se détériore. Dans le souci d’identifier les facteurs qui influenceraient le respect de la femme, nous avons trouvé intéressant de regarder là où la majorité des jeunes se retrouvent, partagent leurs points de vue et s’éduquent. Cet espace de rencontre des civilisations est les réseaux sociaux.

Comment les réseaux sociaux agissent sur les comportements des internautes ?

L’un des traits caractéristiques des réseaux sociaux numériques est la liberté. L’internaute est libre de créer un compte d’utilisateur, de suivre qui il veut et d’intégrer n’importe quel groupe ou plateforme. Il ne s’agit pas simplement d’une liberté d’accès, mais aussi d’une liberté de créer des contenus et d’interagir avec les autres internautes.

Profitant de cette liberté, certains utilisateurs influents de ces plateformes se livrent au partage des images obscènes, des vidéos des ébats sexuels, des discours immoraux, violents et sexistes. Les jeunes, principaux utilisateurs de ces plateformes, n’ayant toujours pas le recul nécessaire et les compétences intellectuelles pour exploiter de manière pertinente, critique et réfléchie ces nouveaux supports numériques, sont ainsi exposés aux risques de manipulation et de modification de comportement.

Le phénomène de bulle de filtres et la construction de l’identité sexuelle des jeunes

L’analyse du phénomène de bulle de filtres nous permet de comprendre que les informations proposées aux internautes sur les réseaux sociaux sont les fruits d’un algorithme. Ces algorithmes trient les informations en tenant compte des données personnelles et des habitudes de navigation des internautes pour leur offrir des contenus en adéquation avec leurs goûts et leurs opinions. Le jeune internaute évolue ainsi dans une sorte routine, le présent et le futur sont la reproduction du passé. Ceci devient dangereux lorsque le jeune, en quête d’une identité sexuelle, se trouve isolé et ne reçoit qu’un certain type de contenu.

Illustration Bulle de filtres. © BusinessAM

Dans ce cas, un simple clic sur une image obscène ou quelques secondes passées à la lecture d’un texte sont suffisants pour que les algorithmes l’isolent et ne lui proposeront désormais que des contenus similaires. Lors d’une navigation, rien n’indique à l’utilisateur qu’un puissant outil est en train de procéder à une filtration des contenus et qu’une grande majorité de ceux-ci seront rejetés en dehors de la bulle.


Dans sa navigation quotidienne, l’internaute ne se rend donc pas nécessairement compte qu’il est en train de passer à côté d’un tas important de données que les algorithmes auront décidé de passer sous silence. Il se trouve ainsi enfermé dans une cellule, dans une chambre d’écho. L’expression « chambres d’écho » est une métaphore désignant une situation où les opinions ou croyances existantes sont renforcées parce qu’elles sont exprimées ou existent en vase clos. Ainsi répétées de manière continue, les croyances sont prises pour argent comptant et les idées contraires n’ont pas lieu d’être. Un tel scénario est préjudiciable pour l’esprit critique et influence sur la construction identitaire des internautes.


Au niveau identitaire, le feedback reçu sur ces réseaux sociaux permet au jeune en cours de construction de valider et d’intégrer son identité sociale. Or, ces réseaux sociaux diffusent des images et vidéos non catholiques où la séduction et la sexualité sont confondues, la sexualité et les actes sexuels sont banalisés et où sont montré des corps sublimes recomposés par l’intelligence artificielle ou la chirurgie.


L’hyper sexualisation de ces plateforme contribue d’une part à présenter les jeunes filles comme des objets sexuels à un âge de plus en plus précoce en les incitant à devenir de bons instruments de plaisir et à adopter des comportements ou des postures qui affichent une certaine disponibilité et d’autre part à amener les jeunes hommes à affirmer leur masculinité en mettant en avant leur virilité. En misant ainsi sur le sensationnalisme et la virilité masculine, ces réseaux sociaux influencent directement la culture populaire, créant des stéréotypes et des clichés qui passent très rapidement pour des tendances sociales et des nouvelles conceptions de la vie et des nouveaux comportements les accompagnants apparaissent dans la société.

La culture de la violence

Les discours immoraux et l’affirmation de la virilité masculine toxique peuvent contribuer à une culture de violence envers les femmes. Du point de vue psychologique, ces réseaux sociaux enseignent aux hommes que la domination et la force sont des signes de virilité et de pouvoir, créant ainsi une culture qui encourage les comportements agressifs et violents envers les femmes. De plus, ces discours déshumanisent les femmes en les réduisant à des objets sexuels, ce qui peut faciliter la justification de la violence à leur égard. Les stéréotypes sexistes sont également perpétués. Plus inquiétant encore, ces discours immoraux encouragent une mentalité de compétition et de domination chez les hommes, les poussant à exercer un contrôle sur les femmes. Au regard de tout ce qui vient d’être dit, il est possible que cette socialisation genrée peut, en cas de conflits, mener à des cas de féminicide.

Manifestation contre le Féminicide en Afrique du Sud.© Gardian.ng

Urgence, il faut briser le processus de socialisation genrée via les réseaux sociaux !

Face au phénomène d’engrenage de la violence sexiste et de la socialisation genrée via les réseaux sociaux, il est important de définir une approche globale pouvant progressivement résoudre ce problème. L’approche globale dont il est question ici doit impliquer les acteurs de la société civile, l’État en tant que régulateur et le système éducatif.

Les organisations de la société civile, plus proches des populations, peuvent mener des campagnes de sensibilisation et d’information sur l’usage citoyen et éthique des réseaux sociaux et la violence sexuelle et sexistes en milieu communautaire ; l’État peut renforcer sa politique de gouvernance de l’internet, réguler efficacement les échanges sur les réseaux sociaux et institutionnaliser l’éducation des citoyens aux médias et à l’information. Dans le système éducatif camerounais, combinée à d’autre disciplines telles que l’éducation à la citoyenneté civique, la philosophie, l’informatique, l’éducation aux médias et à l’information permettra aux jeunes internautes de discerner les usages responsables du numérique, de faire usage d’un esprit critique à bon escient, de distinguer connaissances et croyances, informations, fausses informations et théories du complot et les tendances d’influence et de manipulation.

Cet article de blog est une sorte de résumé de ma communication au colloque national sur la violence et le discours de haine au Cameroun. Le thème original est: les réseaux sociaux numériques et l’émergence de la violence sexuelle et sexiste dans les zones urbaines du Cameroun. Si vous souhaitez en savoir plus, merci de m’écrire à l’adresse garaobesalomon@gmail.com

Cet article a été rédigé dans le cadre de la campagne citoyenne organisée par l’ABC (association des blogueurs du Cameroun), avec pour thème : féminicides, agressions sexuelles et violences conjugales.

#ABCstopVBG237
Étiquettes
Partagez

Commentaires

Carole
Répondre

Il est édifiant et relate notre quotidien sur les réseaux sociaux, ton article.
J'aime 👏